Semelles de vent

NOUVELLES DU FRONT!

 

Damas. 20ème mois de la révolution. 

 

(  Le Bèlvédère assiégé.mp3  )

 

Je suis arrivé à Damas le 19 septembre après avoir attendu mon visa à Paris pendant un mois et demi!. 

Je suis passé par Beyrouth où j'ai été accueilli par mon amie Hélène, on a passé une super petite soirée dans un bon petit restau. Le lendemain je prenais un taxi collectif (6 passagers) jusqu'à la frontière, frontière libanaise passée en 3 mn. A la frontière syrienne, pas de problème avec mon visa, mais quand ils ont ouvert mes deux valises et vu qu'il y avait un appareil photo, un ordi et 25 DVD, ils se sont inquiété et m'ont amené dans un bureau avec les valises. J'ai attendu 10 mn et un type est revenu me disant "Mr Bernard, vous pouvez y aller, bienvenu en Syrie". Ils ont dû se renseigner par téléphone à Damas où ceux qui me connaissent m'appellent "Mr Bernard". Et après une dizaine de check-points je suis arrivé chez moi, où il y avait une quinzaine de personnes; mais j'étais attendu chez une amie archéologue où une chambre m'était réservée. 

 

Le jour où je voyageais vers Damas, une très bonne amie, voyageait vers Amman, on se croisait pour ne se revoir que dans 6 mois!!! Mais elle n'a pas pu passer la frontière jordanienne! Aussi on s'est vu le soir même et les deux jours suivants. Puis elle a fini par prendre l'avion pour Amman via Dubaï, et maintenant elle est à Malmö en Suède où elle a obtenu une bourse de six mois pour études à l’université. 

 

Je suis resté 3 semaines dans cette maison, et maintenant je suis retourné chez Majid dans la chambre que je lui ai louée pendant plus d’un an avant d’intégrer ma maison en septembre l’an dernier, et où j'ai tellement de bons souvenirs!!!!

Car ma maison est toujours pleine de monde, des familles réfugiées des environs de Damas dont le village, Kafar-Batna, est bombardé tous les jours. La première famille à s'être installée chez moi vers le 15 juillet, c'est le frère d'une amie, venu avec sa femme enceinte et un garçon de 2 ans; un petit Mohammad est né quelques jours après!!! Actuellement il y a entre 20 et 25 personnes; j'y vais souvent pour dîner avec mon amie et son fiancé, ambiance chaleureuse et bonne bouffe! 

Ca me fait tellement plaisir de pouvoir aider! 

 

Vous avez peut-être vu que j’ai deux maisons que j’ai réunies en ouvrant les murs, et la deuxième maison s'appelle la "Frog's house" ( elle était prévue pour Dania qui n’a jamais pu s’y installer à cause de sa mère, et quand je l’ai connue je lui ai donné ce surnom de “frog” ), et la famille qui y loge s'appelle "Defda'a", ce qui veut dire “grenouille” en arabe!!! Faut le faire, non?

 

 

Samedi 20 octobre - J'étais sur la place de Bab-Touma (le quartier où j’habite actuellement, mais c’est aussi le nom de la place à l’entrée de la vieille ville) une heure avant l'explosion!!! Brrrrrrr! ça fait froid dans le dos! C'était Bomb-Touma!!! Il y a eu une épaisse fumée noir, mais ça n'a duré qu'un quart d'heure. Une heure après je me suis rendu là-bas, mais impossible d'approcher, il y avait pleins de militaires et de chabbiha en arme, j'ai juste vu de loin des carcasses de voitures calcinées. L’explosion a eu lieu au milieu de la place, le poste de police n’a pas été touché. 

 

Mes amis syriens sont tous dépressifs, ils voient trop de sales choses autour d'eux! Se loger aussi devient difficile, on dit qu’il y a entre 2 et 3 millions de réfugiés de l’intérieur en Syrie, j'essaie d'aider au max. Même Dania, que je viens d'avoir par Skype, à Malmö, se fait un sang d'encre! 

 

J'ai décidé de rester dans mon ancienne chambre (chez Majid!!!) au moins jusqu'à mon retour de Paris vers la mi janvier. 

Depuis ce matin 7h, il y a une explosion à peu près toutes les 5 mn aux alentours de Damas. 

Hier une amie a pris un micro-bus de Jaramana (banlieue où elle habite) pour se rendre à Damas; dans un embouteillage provoqué par un check-point, elle a vu un mec courir vers eux à toute berzingue entre les voitures, et arrivé à la hauteur du bus il a reçu une balle en pleine tête, le sang a giclé partout... Comment peut-on tenir le coup quand on assiste à ça et qu’on s’attend à ça à tout moment? 

 

Bon! Les bonnes nouvelles! Les familles qui sont chez moi ont fait des maqdous pour l'hiver, et m'en ont donné un grand pot; jeudi soir (18 oct) on était dix chez moi (enfin chez Majid!) et devinez ce qu'on a mangé après les maqdous......  un boeuf-bourguignon!!!!! Bref, faut pas se laisser aller, nom de dieu!!! 

Les maqdous sont de petites aubergines cuites rapidement à l’eau, laissées sous presse pour qu’elles rendent leur eau et leur amertume, puis fourrées de noix concassées, de piments et de je ne sais plus quoi, et conservées dans l’huile d’olive dans des bocaux pour l’hiver. Un régal !!!!!

 

 

Dimanche 28 octobre - Depuis quelques jours on voit, et surtout on entend, des avions de chasse passer au dessus de Damas, ils vont bombarder les villes aux mains des rebelles en banlieue et dans la campagne environnante. Ils font un boucan du tonnerre! Ils font de grands cercles en altitude, puis tout à coup descendent en piqué pour aller bombarder quelque part. 

 

La vie est de plus en plus difficile pour beaucoup de syriens, plus de boulot, plus d'argent, manque de logements, et dans les quartiers ou villes en guerre, manque de bouffe, de médicaments, de soins...Heureusement l'entraide et la solidarité marchent très bien, Beaucoup de gens partent à l'étranger, ceux qui ont les moyens ,les autres en rêvent... 

On apprend tous les jours l'arrestation ou l’enlèvement de untel, la disparition de tel autre ou la mort d'un proche, le moral général commence à s'en ressentir.

Tous les jours on entend des explosions, des hélico ou des Mig qui passent dans le ciel... A chaque fois que je vois un hélico qui passe, je dis aux copains : Ha! quand même, avec cette chaleur ils ont fini par nous envoyer un ventilateur!!! Faut bien détendre l’atmosphère de temps en temps!

 

Depuis deux jours c’est la fête, l’Aïd al-kebir. Aujourd'hui comme d'hab on entend des boum-boum tout autour de Damas, mais intra muros la vie continue... 

Bien sûr il y a des hommes armés à tous les coins de rue du quartier de Bab-Touma et sur la place, mais on n'y fait même plus attention, ils sont comme un décors et les boum-boum comme un accompagnement musical!!! 

 

Tous les copains sont partis dans leurs familles pour l'Aïd, qui à Homs, Deraa, Sweida, Raqqa, Salamié, Massiaf... et reviennent lundi ou mardi, ce qui veut dire qu'on peut encore circuler dans le pays, la vie continue...

 

Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il y a 23 millions d'habitants en Syrie, et que quand on a enlevé les morts, les disparus, les prisonniers, ceux qui sont dans l'armée et ceux de l'armée libre, les réfugiés et ceux qui ont fuit à l'étranger... il reste bien 21 millions de gens qui essaient de vivre ou survivre comme ils peuvent, et heureusement l'entraide et la solidarité marchent du feu de dieu!!! Dans toutes les guerres c'est la même chose, on oublie que le peuple est toujours là; comme en 40-45, tout le monde n'était pas collabo ou résistant, prisonnier ou mort, on tâchait de vivre ou de survivre comme on pouvait. C'est sans doute un des aspects des guerres qui est toujours oublié par les journalistes : le populo qui fait avec, la démerde, les combines, ceux qui en profitent, les enlèvements contre rançon, les vols, les crève-la faim, et puis ceux qui se dévouent, ceux qui aident dans la discrétion, et puis tous ceux qui attendent que ça se passe sans savoir quel parti prendre... 21 millions de gens quoi! C'est beaucoup!!!

 

Beaucoup de jeunes ou de moins jeunes que je connais sont un peu déboussolés ou dépressifs, ils n'en peuvent plus d'apprendre tous les jours tant d'horreurs, de savoir qu'ils peuvent être arrêtés d'un moment à l'autre, qu'un ami ou un parent vient de se faire arrêter ou est mort... Tous ces mille à côtés de la guerre qu'on ne voit pas, tous ces anonymes, des crapules comme des dévoués, des victimes comme des profiteurs... 

Personnellement je suis bien moins bien informé des événements majeurs qui se déroulent que tous ces gens avec leur ipad ou autre qui suivent en permanence heure par heure ce qui se passe, mais je suis peut-être plus sensible à tout ce que j'ai écrit ci-dessus. J'apprends tous les jours de ces petits événements qui arrivent à tout un chacun, une vision de l'intérieur plutôt que celle de l'OSDH si vous voyez ce que je veux dire. 

Beaucoup de gens ne songent qu'à partir à l'étranger, il y a ceux qui peuvent parce qu'ils ont les moyens , et les autres qui rêvent.

 

Je suis allé à Baramké (centre administratif pour les visas et l’immigration) pour ma demande de carte de séjour, il y a une foule de gens qui font la queue pour essayer d'obtenir un passeport ou une autorisation de sortie. 

Et puis quand on se promène dans Quermarié (rue très passante au coeur de la vieille ville entre le café Nofara et Bab-Touma), on pourrait croire que jamais rien n'est arrivé, que la guerre n'est qu'une illusion, beaucoup de monde avec une allure bien tranquille, des travaux d’aménagement qui continuent, tant de contrastes, c'est difficile de décrire tout ça. C'est une accumulation de mille détails, de mille instants, de mille impressions, et c'est difficile de faire une synthèse de tout ces bouleversements qui se produisent dans la tête des gens, de tous ces malheurs qui rythme la vie. 

Après les guerres il y a des tonnes de gens qui essaient de décrire ce qui s'est passé dans des récits, des romans, des essais... et il faut des années pour avoir une petite idée de l'ambiance générale à force de petits détails accumulés, de témoignages, d'histoires personnelles... 

Je ne veux pas dire que les journalistes ne servent à rien, loin de moi cette idée, mais j'imagine que le journalisme d'investigation ne peut exister en temps de guerre, surtout dans un pays en guerre (Les “Lettres de Syrie” sur le blog d’Ignace Leverrier (Le Monde) donnent une bonne impression de ces ambiances, à lire absolument  

http://syrie.blog.lemonde.fr/   )

 

 

Une impression générale est difficile à décrire, parce qu'en plus, dans un pays en guerre, on ne parle pas facilement, on se méfie toujours des voisins, et même parfois de ses amis, ou de sa propre famille où les avis divergent et provoquent des drames, des dénonciations...

Voilà, j’ai essayé de vous donner un petit aperçu de ce que je ressens ici dans ce monde de fous. Si on suit bien ce qui se passe dans le monde actuellement, il semble que tout devient de plus en plus fou!!! 

 

 

Je vais tâcher d'aller au monastère de Deir Mar Moussa (voir mes deux albums photos sur ce blog) dans les jours qui viennent, j'ai un voyage prévu à Homs après l'aïd chez une copine qui s'y rend presque tous les we pour visiter sa famille.

 

Je serai de retour à Paris vers le 15 décembre

J'espère que d'ici là j'aurais enfin obtenu ma carte de séjour! J’en ai obtenu une provisoire pour trois mois, je devrais avoir la définitive début décembre.

Et que je pourrai voir certains d’entre vous autour d’un bon verre d’arak!!!!

 

(Désolé, il y a quelques répétitions dans mon texte...) Désolé aussi, je n’ai pas pris beaucoup de photos depuis un an...

 

Bernard

A Damas, le 3 novembre 2012.

 

 

 

PS. Pour ceux qui voudraient connaître la cuisine syrienne, il y a le restaurant “La Rose de Damas” tenu par mon très grand copain Prosper (un syrien qui vit depuis trente ans à Paris), 6 Boulevard St Germain à Paris (06 63 23 35 30). Appelez le de ma part bien sûr!

 

Et le restaurant “L’Agate”, 14 Bvd de Bonne Nouvelle dans le 10°. On peut y fumer la shisha, et tous les jeudi soir il y a un menu unique à 20 euros, dont 10 sont aussitôt expédiés en Syrie pour la bonne cause! (Un petit geste?).

 

 

 

 



03/11/2012
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